Écrire Partie Une

Je n’ai pas choisi d’écrire et je comprends maintenant qu’il ne sera plus jamais question de choix. C’est devenu une obligation (« qui ne relève pas d’une convention mais de la nature de l’homme »). Écrire est, parmi d’autres choses, ma raison d’être. Elle m’est aussi nécessaire que penser.
Écrire c’est penser. Écrire, c’est aussi ressentir.
Être, par exemple, affecté par cet été qui ne finit pas, une élection triste au Brésil, un faon mort assommé au bord de la route il y a quelques heures, laissé dans le fossé sans sépulture (quelqu’un s’est-il écrié « quel con d’animal qui s’est rué sur mon capot ! », quelqu’un a-t-il entendu « connard de conducteur tu m’as privé de vie et voilà tout ce que je possédais ! »), ta voix qui fait des trémolos, ma propre image qui vacille alors que pourtant, je l’avais tracée au marqueur, et donc ne pouvais plus l’oublier.
Où est-il maintenant ce marqueur ?
Écrire c’est dire, dire tout, nommer, signifier, préciser, ralentir, éluder aussi. C’est inscrire, graver quelque chose, le prendre dans l’air, dans un coin de la mémoire, dans l’univers de l’instant, et puis le faire lire.
Écrire, pour moi, c’est aussi s’exposer à être lue.
Assumer d’être lue.
Déplaire (et déplaire fortement) ou émouvoir (toucher fortement).
Écrire c’est être libre, sans limite pour la pensée, sans limite pour l’expression. Dans l’acte d’écrire, il n’y a pas de place pour la censure ni l’autocensure.
Alors, oui, il faut être forte, il faut être libre.
J’ai commencé à écrire dès mes sept ans. Et je fais allusion à un travail constant, régulier comme l’écriture, d’abord, de petites nouvelles (témoignages de mon temps, de l’atmosphère à l’école primaire, des sentiments de mes camarades et des miens), puis de poèmes. Au fur et à mesure que j’avançais dans l’écriture, « je » est devenu « un autre » à travers lequel je voyais le monde (son monde) avec nos sensibilités liées. « Je » était un panda chinois, un garçon de huit ans amoureux d’une jeune fille de son âge, une mère de trente ans, une personne morte. « Je » n’avais plus de limite, si ce n’est une empathie terrible pour tout ce qui traversait ses sens. « Je » c’était moi, bien sûr, avec mon histoire personnelle, cet héritage, mes souffrances, mes joies, mes envies, mes phantasmes, et puis c’était aussi ce qui n’était pas, ce qui, peut-être, ne serait jamais que sur papier.
Tour à tour refuge, défouloir, archive ou simple exercice (mental et physique), écrire est devenu mon métier.
Un « je ne sais faire que ça » ou encore « c’est la seule chose que je sache bien faire ».
Poétesse relativement peu connue, je ne gagne que 10% sur mon premier livre (du prix de vente du livre) et des petits pourcentages sur des livres collectifs. Je réalise des ateliers d’écriture (rémunérés), des commandes ou des propositions suite à des appels à projets, des résidences d’écriture.
Je n’ai pas d’appartement propre, je cohabite avec ma mère, en colocation. Chacune paie sa part puisqu’on est locataire d’un HLM (certes, en centre-ville), puisqu’elle a failli être licenciée cet été et qu’elle a conservé un poste à mi-temps dans un bled paumé.
Cela implique que je n’ai pas beaucoup d’argent pour sortir, pour flâner le long des boutiques et des sites de voyages. Je suis en fait assez sédentaire, je reçois des habits d’amis plus privilégiés, et je sors de temps en temps.
Pourtant « tu as fait Sciences Po Grenoble ».
Pourtant « tu es intelligente, tu saurais te vendre ».
Pendant trois ans, je me suis « vendue » dans le marché du travail, j’ai accumulé les CDDs d’une semaine, de quelques mois. On m’a même proposé un contrat de saisonnier alors que je travaillais pour un musée parisien qui sous-traitait son personnel d’accueil et de billetterie (tout le « petit personnel ») à une boîte cherchant coûte que coûte le profit.
Et je suis tombée, aussi, de fatigue, et de précarité (j’habitais Paris) après ces trois années.
Écrire c’est un combat social.
« Tu ferais mieux de faire autre chose qui rapporte plus ». Si j’étais rentière, la question se poserait-elle ainsi ? Qui a le droit d’écrire et qui ne l’a pas ?
« Tu devrais écrire un roman, ça rapporterait plus, tu aurais plus de chance de décoller ».
Qui a le droit d’écrire de la poésie et qui ne l’a pas ?
Je suis poétesse. Je ne sais faire que ça. Je ne ferai que ça. Écrire de la poésie.

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