Fuck off (va te faire foutre)

Je ne me conformerai pas.
Il suffit d’une soirée où pour la énième fois on me dira indirectement que je parle vite.
Comme toujours, il suffit de demander à celui avec qui je parle « Tu comprends ce qu’elle dit ? »
Ce à quoi souvent, bien évidemment, la personne répondra « Oui » ou comme hier soir, il sera dit « je préfère même. Comme ça la phrase est là tout de suite et je n’ai pas à attendre. Je ne prends pas, non plus, le risque d’oublier le début de la phrase ».
Et puis, il y a toujours les plus lâches, qui attendent que je sois partie (mais suis-je partie ou coincée derrière la porte, l’oreille loin mais attentive ?) pour médire sur la soi disant personne qui parlait vite.
Peut-être est-il temps, depuis le temps, que je mette enfin les points sur les « i ».
Cette attaque, continuelle, m’est désormais bénigne. Je n’y prête plus attention, habituée comme je le suis désormais à celui ou celle qui va se braquer parce que je parle trop vite. Comme d’autres se braqueront parce qu’un tel bégaie, a un accent et que sais-je encore. Dit-on aux gens « attends je comprends pas ce que tu dis car ton nez est trop long, ta voix trop laide, tes yeux visqueux » ? Mon débit étant inaliénable à ma personne, comment me demander d’être autrement ?  Bien sûr, j’essaie de faire des efforts et je ne souhaite pas perdre mon interlocuteur, trop précieux est-il de dialoguer et donc, pour cela, de se comprendre. Mais ceci se passe dans une bienveillance, une entente commune, une franchise qui m’amènent à faire des exploits (les émissions de radio Ici-même étant un bon exemple). Dans le cas inverse, quand il s’agit tout de suite d’un jugement hâtif, de dénigrer l’autre différent, je n’ai qu’une seule expression en tête : Va te faire foutre. (Fuck off)
Ceci étant dit, mon expression n’est pas si méchante, au final, peut-être que toi et moi n’avons rien à nous dire. Tu me parles de chiffons, je n’en ai, sincèrement, rien à faire. Tu me parlerais d’histoire, d’actualité, de tes opinions, de quelque chose qui mobilise ma pensée, dans ce cas, nous irions discuter.
L’orthophoniste que j’eus il y a trois ans me dit « bon je peux rien faire pour vous, vous n’avez aucun problème de diction. La pathologie que vous me décrivez est celle de l’autre. Ne changez rien, restez comme vous êtes. Qu’ils vous demandent de répéter, et puis c’est tout. Après tout, il y a des gens qui parlent d’une façon intenable et on ne leur dit rien ! »
J’ai ma propre musique et elle résonne fort en moi. Je la donne à ceux qui veulent et savent écouter.
« Venez comme vous êtes » c’est ce que dans mon cercle je lis et entends souvent. Peut-être suis-je loin de mon milieu, en effet, mais laissez-moi écrire ceci depuis ce coin de Lorraine « Parlez comme vous êtes ». Et dites, dites tout. Nous aurons le temps de débattre.

Agathe me disait l’autre jour : « ce que j’aime des artistes c’est qu’ils disent tout, c’est leur expression, libre, qui, pour moi, fait d’eux des artistes. Ils ne connaissent pas l’autocensure. »
Bien sûr, je lui ai répondu que parfois, si. Parfois inconsciemment, pour quelques raisons étranges ou moins étranges, je me suis autocensurée. Et c’est là mon grand combat. Ne plus jamais le faire.
Ceux qui me connaissent s’étonneront peut-être, moi qui donne l’impression d’être « si cash » (tant de choses que vous ne savez pas !). Il est vrai qu’à mes douze ans, dans une belle voiture qui me ramenait chez moi, cet homme me dit « Tu ne seras jamais diplomate toi, tu es incapable de ne pas dire ce que tu penses ». C’était pour lui une insulte que de me dire cela, riant à gorge déployée, je m’en souviens encore (tant du rire que de ses paroles). Dix ans plus tard j’étais déjà à Sciences Po Grenoble avec des visées autres, en effet, celles d’exercer le métier de journaliste et non de politicienne.
J’espère que cet homme aura toujours raison, que je serai incapable de ne pas dire ce que je pense. Il en va de mon art comme de ma santé mentale.
Mais ce « parlez comme vous êtes », ce « venez comme vous êtes » m’amène à penser à l’éducation que j’ai reçu de ma mère. De toute ma vie, dans notre « maison » (en fait, un appartement en location), ma mère n’a jamais médit quiconque. Mais ça va plus loin. Je l’ai vu, toute sa vie, prendre soin de l’autre. Un homme dort sur un banc en bas de notre tour à la Cité Tony Garnier, elle a concocté des plats qu’elle met dans des Tupperware, sort des couvertures et surtout, passe des heures à lui parler. Quelqu’un se blesse rue d’Aubervilliers, tout près du 104 où je travaillais en 2013, un homme, d’apparence sale, âgé, marchant avec des sandales en plastiques, et pissant le sang. Il vient de marcher sur un bout de verre qui a transpercé le plastique. Ma mère, à genoux, lui lave la plaie avec de l’eau d’une bouteille que nous avions, et exerce une pression pour calmer le tout. Mais, surtout, elle lui parlera, aussi. Cet homme, étranger, baragouine quelques mots. Et alors ? On a tout notre temps, il faut l’écouter, « les choses se font bien ou ne se font pas », dira ma mère plus tard. Elle passera ses mains sous l’eau et passera tout de suite après à autre chose.
Il y a urgence aujourd’hui et quiconque dira l’inverse est aveugle ou sourd (ou les deux) pour remettre sur un piédestal la notion de tolérance.
Ce genre de remarques reléguant l’autre à sa différence est le signe d’une idéologie dominante bien dégueulasse.
Et c’est pourquoi, lors de mon premier atelier d’écriture avec les étudiants de l’université de Lorraine, j’ai dit ceci : « Le socle idéologique de notre atelier est celui-ci : la liberté d’expression. Cela m’est égal que vous fassiez de belles phrases, je veux, d’abord, que vous écriviez ce que vous pensez, ce que, vraiment, vous voulez dire. »

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