Jimmy Sommerville
Jimmy Sommerville, Small town boy
La première fois que j’ai entendu Small town boy c’était à l’été 2009.
Comment ne pas oublier « Samariterstraße, 5 », Friedrichschain, Berlin Est ?
Un air de Herr Lehmann dans l’appartement, cette colocation avec deux berlinois de l’Est, la quarantaine passée, déjà très écolos et féministes. J’avais vingt-deux ans.
Comment oublier les bains nus dans les lacs environnants, et les poils sauvages sous les aisselles des femmes, sur leurs pubis, et ces hommes émerveillés de ces corps, de ces odeurs, tandis que je plongeais, en culotte dans le lac, décalée, épilée, honteuse ? Je n’avais jamais vu ça. Des corps nus, partout, de toutes sortes, plus vieux, plus flasques, poilus, très poilus. Et ces rires, cette liberté, cette guitare coincée entre le coffre et le siège arrière, cette langue qui n’avait jamais été si belle puisqu’elle sortait de leurs bouches, et que cette pensée, cette manière de vivre m’étaient offertes, limpides. Ils étaient nés avant la chute du mur, à l’époque, ils avaient un peu plus de vingt ans. A l’époque, ils avaient mon âge.
Tout ce qu’ils avaient connus, ils me l’ont raconté. De toute façon, il n’y avait qu’à voir comment ils vivaient. Je ne reconnaissais rien.
Je passais l’été loin d’un cursus Sciences Po que j’allais retrouver après mais dont j’oubliais tout. L’intégration, les soirées arrosées chez une jeunesse privilégiée dont je ne faisais pas partie mais à qui je me gardais bien de révéler mon secret (des classes populaires, de la classe vivant en-dessous du seuil de pauvreté je faisais et fais partie) étaient loin. Tous les cours et séminaires social démocrates loin. Ces amours aseptisées de corps quelques peu complexés, inachevés, d’esprits flous, loin.
Je tournais autour de Berlin à coup de S-Bahn, d’Est en Ouest, du Sud jusqu’à en perdre le Nord. Les nuits n’étaient pas les mêmes car elles ne finissaient pas. Les parcs, les squats, l’amour étaient différents. La jeunesse exultait de vie partout, et je me retrouvais enfin. J’en faisais partie.
Un monde à part que je découvrais qui, déjà, s’évanouissait puisqu’il se gentrifiait.
Neukölln. J’y avais acheté une bicyclette hollandaise dernier cris pour 30 euros. Tout se marchandait. Les turcs vendant rapidement la marchandise avant de repartir à la trouvaille. Les squats des plus loufoques aux soirées les plus arrosées. La drogue était partout, dans toutes les mains, dans toutes les poches, et dans les yeux des danseurs à cinq heures du matin à Friedrichschain. De temps en temps, je passais du côté Ouest, c’est là où je prenais des cours d’allemand le matin, là où quelques bourges, rencontrés auparavant, vivaient. De temps en temps, une nouvelle, comme ça, d’un anarchiste entre la vie et la mort, frappé avec une roue métallique par un néo-nazi dans le quartier d’à-côté, Lichtenberg.
Que ne m’avait-il dit ce germano-américain, d’une peau noire éclatante, un corps pulpeux comme j’en ai rarement vu depuis si ce n’est dans une chambre à Singapour, un corps tout droit venu d’Irlande ( !) Que ne m’avait-il dit de ne jamais aller à Lichtenberg, le repère des fachos, et où, effectivement, je ne mis jamais les pieds durant mon séjour, ni lors de mes allées et venues à Berlin l’année suivante.
Déjà, l’Est se corsait, et mes colocataires berlinois s’inquiétaient tandis que dans les amphithéâtres de Sciences Po tout semblait loin, si loin.
Aujourd’hui, rien n’est moins vrai car on dirait que tout s’est mis à brûler. Je me demande si nous saurons l’arrêter.