« Les chiffres sont accablants: il y a de plus en plus d’étrangers dans le monde »

Qu’il ne me voulait pas. Ainsi je le supposais.
J’étais attiré par un jeune garçon blond aux yeux bleus (à gauche de la photographie), et je me sentais étrangère jusqu’au bout des ongles. Je ne sais pas d’où me venait ce dégoût envers moi-même ni ce sentiment d’échec de ne jamais parvenir à m’extirper, à m’éloigner de mes origines.
C’est le jour de Carnaval, et j’ai sorti ma robe de flamenco. Ce n’est pourtant pas, pour moi, une tenue inhabituelle. À l’époque, je dansais le flamenco. J’y allais à reculons, certes. J’étais entourée de femmes mûres parlant uniquement le castillan et cela m’exaspérait.
J’enchaînais ensuite des cours de mandarin dans le quartier de La Guillotière pour les enfants d’immigrés. J’étais là la plus « chintok » de tou.te.s, malgré mon métissage évident.
Les insultes démarraient dès la sortie de mon immeuble à la Cité Tixier, puis dans le métro, à la Cité Scolaire Internationale de Gerland (Lyon). Quelques regards empreints de racisme dans le quartier du Vieux Lyon quand j’accompagnais ma mère faire ses ménages chez les personnes âgées, bouclaient la boucle. J’étais chinoise, il n’y avait rien à faire.
Quand je regarde cette photographie, je me demande : que se disaient-ils mes camarades ? Chinoise ou espagnole ? De toute évidence, je ne choisissais pas, j’étais les deux, j’étais les trois, française, aussi.
La poudre blanche sur ma joue m’évoque, a posteriori, le visage des japonaises du XIXème siècle comme j’ai pu en voir sur les estampes dans quelques musées parisiens. S’opérait, malgré moi, un syncrétisme culturel dans toutes mes photographies. Je n’ai jamais pu choisir, j’intégrais tout, j’étais tout, l’Espagne et son folklore, la Chine et ses clichés, la France idéalisée, profondément.
Quelques années plus tard, je porte une qipao que m’a offerte mon père. Je me souviens très bien de ma mobilité très réduite, sa longueur m’empêchait de courir, de me mouvoir comme un cowboy. Je détestais la porter. Pourtant, l’on devait se dire que mon physique collait à la robe. Comment ne pas voir le drapeau espagnol coincé contre la porte du placard, partie intégrante de mon univers ? Chinoise ou espagnole ?

Quand on m’a demandé récemment de porter « une tenue traditionnelle » pour un shooting photo mettant en valeur « la beauté des femmes asiatiques » je n’ai pas su répondre quelle tenue je pourrais mettre. Je n’avais en tête que cette robe de flamenco que j’aimais tant, que je portais, parfois même sur la plage, avant de la jeter sur le sable et de plonger sous la première vague de la côte cantabrique.

Je n’ai aucune tenue traditionnelle reflétant mes origines, il faudrait encore l’inventer.

NB: Le titre de ce texte « Les chiffres sont accablants : il y a de plus en plus d’étrangers dans le monde » est une citation de Pierre Desprosges.

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