Elvis in the ghetto
En HLM, Cité Mermoz.
Ce qui tourne en boucle, comme souvent c’est Elvis Presley en 33 tours.
« It’s now or never » mon titre fétiche avec son « tomorrow will be too late ». Une urgence que je garde dans le sang depuis toute petite. Inutile de dire que j’essayais de répéter (ce que j’entendais…) et je dansais devant la fenêtre du salon qui donnait sur une cour d’école.
La nuit, il n’y avait personne. Ma mère devait être en train de préparer le repas dans la cuisine, mon père, absent, avait laissé un coffret de vinyles collector spécial Elvis Presley (dix !). Je pouvais y lire les paroles, voir Elvis à tous ses âges. Je le préférais jeune bien sûr, mon futur compagnon charismatique, craquant, avec ses paroles si déterminantes.
Elvis c’est aussi mon premier voyage loin, aux États-Unis en 1992. Mon père qui me demande comment appeler sa nouvelle agence de voyage à Los Angeles. Moi qui lasse de sa curiosité soudaine, de ce « je vais être un bon père maintenant », ne répondis rien. Puis, il prit un pinceau et dit « Look ».
« NATHALIE» en grand, suivi de « TRAVEL AGENCY LTD», et sa carte de visite si kitsch que, pourtant, je conserve encore. La France dans un cercle et là où devrait se situer la ville de Lyon, c’est un N qui est représenté.
Voilà les USA de Elvis, et son Las Vegas. C’est là où je me fatigue de toutes ces lumières, il fait un froid de canard, nous sommes fin décembre, et la chaleur ne vient que des casinos où nous entrons. Nous ferons dans la foulée New York et je m’y perdrai, foutue statue de la liberté. Un policier, très charmant, d’une vingtaine d’années me parla en chinois, en anglais puis en espagnol. Quand je lui répondis enfin « Sí, eso sí que entiendo », ses yeux s’illuminèrent et il m’emmena avec lui dans une réception. D’où venait-il ? Je me le demanderai toujours. Mon sauveur de l’instant. Je crois que du haut de mes cinq ans, je suis tombée amoureuse de cet homme-là (le premier). Puis mon père, énervé, me fit la leçon devant tout l’auditoire, devant cet homme que j’aimais déjà (une fessé ou deux je reçus, quelle honte ! Un outrage, je pensais), seule ma mère me serra dans ses bras en se disant que j’étais saine et sauve. Je crois avoir pensé « quel hypocrite que tu es papa » à cette époque déjà…
Pourtant, Elvis et son coffret. Le mot d’amour d’une autre femme que tu avais eue et qui, sûrement t’avais offert ce coffret puisque c’est là que je retrouvais cette lettre. Qu’importe, maintenant c’est moi qui l’écoutais, et qui rêvait d’Eldorados, de romances fleur bleue. Moi qui pensais aux rêves américains.
Sûrement comme toi d’ailleurs, venu de Hong-Kong, tu devais te dire qu’aux States tout était possible, non ? Et en quelque sorte, oui…
Elvis donc pendant que tu m’apprends les rudiments du « Kung-Fu Wushu » pour que je sache me défendre. Et tu me demandes « Pourquoi tu ne veux pas te baptiser ? Ta grand-mère serait si heureuse me dit ta mère » et je te dis « Je ne crois pas en Dieu » et tu me réponds « Mais c’est pas grave, embrasse la vie, baptise-toi, convertis-toi au judaïsme, deviens bouddhiste, peu importe… qui s’en fout. Fais plaisir ».
Je t’ai regardé comme le plus grand opportuniste du siècle, tu avais tes raisons, mais je ne l’ai jamais fait, je ne me suis jamais baptisée.
Elvis pendant les manèges devant les Mc Donald’s. Tous ces Happy Meals que j’ai avalés, ce que j’adorais ça pendant que je boudais tous ces plats cantonnais que ton frère préparait.
Qui mettait le volume à fond pendant les soirées de ma mère ? Elvis, Michael Jackson (eh oui !) je choisissais la musique et je dansais pendant que les adultes picolaient. Souvent, la seule de mon âge, je n’avais rien à perdre, et il fallait bien danser « it’s now or never », « tomorrow will be too late ».
Elvis, aussi, quand tu as voulu me récupérer à l’école (enfin me kidnapper). Elvis, c’est ce « return to sender » que tu vivras pendant toutes ces dernières années.
Elvis, ce que personne n’écoutait quand j’étais petite, ce que personne n’écoutait quand j’étais adolescente, ce n’est que maintenant, peut-être, que je rencontre ceux qui l’écoutent et qui l’aiment… Don’t be cruel (to a heart that’s true).
Toi aussi tu te perches à l’extrême- Ouest
Et tu regardes la ville
Peut-être recherches-tu celle que tu as aimée,
Dans cette petite ruelle argentée
Peut-être, toi aussi, tu repenses à celui que tu es,
Quand, fondu dans la foule, tu regardes en haut
Te demandant quelles sont ces personnes qui vivent si éloignées ?
Tu as gardé le blanc et le noir sur ta peau
Tu n’avais pas à choisir
Tu es ce noir et ce blanc sur ta peau
Mais quand tu penches la tête, je ne vois que le blanc,
Tes oreilles, sans doute, plus blanches que le reste.
Combien de portes ouvertes pour ces belles oreilles ?
Et de l’autre côté, noir, tu es souvent rebuté
Quand il t’aurait fallu garder cette tête du bon côté.
Qu’as-tu à ne pas savoir choisir, à ne pas vouloir choisir,
A contraindre cette vue d’un noir et blanc mélangés ?
Toi aussi, vis-tu comme moi, métissé, transfugé
L’un et l’autre à jamais liés ?
Nos deux solitudes pour paysage,
Mon cher, très cher chat sur l’Esplanade.