Des nouvelles de Battambang

J’ai cherché en vain le papillon luisant mais il s’est volatilisé.
Je n’ai pas pu vous le photographier.
Alors je vous écris, ça tombe bien, je n’ai rien d’autre à foutre, et ça tombe bien encore une fois, je suis en résidence d’écriture.

Je voulais parler de l’odeur.
Les trois villes où j’ai résidé au Cambodge (Phnom Penh, Siem Reap, Battambang) ont une odeur le matin, une odeur le soir. Et cela est très distinct. Il y a ici des arbres fruitiers un peu partout, notamment comme je vous le disais, il y a des manguiers à S21 (le centre de torture des Khmers Rouges à Phnom Penh au cas où vous auriez oublié). C’est pour dire à quel point les arbres fruitiers sont légion ici.

L’humidité doit aider à ces odeurs qui diffèrent et peuplent le paysage.
On est loin des odeurs matinales ou nocturnes de villes comme Bordeaux et Paris que je connais bien.

Les bruits, la vie sauvage, ensuite.
C’est quelque chose que je leur souhaite de ne jamais perdre.

C’est la nature qui me réconforte ici, que je profite depuis, bien évidemment, un toit bien confortable, un hôtel en périphérie de Battambang. Je peux regarder les poules courir pendant des heures, les chiens s’amuser, les geckos sortir la langue quand ils se déplacent, compter tous les papillons que je vois en une journée (plus de trente, c’est certain), les oiseaux, les différentes tailles et prouesses des fourmis, quelques mille-pattes et certains cafards.

C’est étrange, en France c’est l’été, et cette ville a des airs de confinements automnaux.
Il n’y a personne dans les rues (ou très peu), presque pas de lumière, les rideaux de fer sont fermés. Ne me demandez donc pas où je fais la fête.
Si je la fais, c’est dans ma salle de bain, avec mon smartphone et le curseur du volume au plus haut car j’ai oublié mon enceinte.
J’écoute du mauvais son, c’est comme ça.

Parlons-en du son. Il n’y a presque pas de live ici.

C’est essentiellement des enceintes donc qui participent à ce qu’on pourrait appeler de la musique. Les tubes de Mariah Carey sont ceux que j’ai entendus le plus, à mon grand regret.

Les karaokés. Les prières des bonzes d’en face. Les basses de l’ouvrier au Nord de ma chambre qui répare je ne sais quoi encore.

Le rap, le hip-hop, le RnB sont très populaires parmi la jeunesse. Je suis déjà entrée dans des boutiques tenues par des jeunes et le son était bon !

Les enfants ont un nouveau jouet depuis deux semaines, le tac-tac de nos années 70. Un beau mélange de castagnettes et de machine à coudre.

Les chiffonniers ont des klaxons poulet pour annoncer leurs venues, qu’on leur donne ce qu’ils doivent embarquer.

Les vendeurs ambulants ne se fatiguent pas à crier, comme le faisait mon vendeur préféré sur les plages de Santander. Non. Ils ont un enregistrement qui tourne en boucle, assez morne, et parfois, rien qu’à entendre l’enregistrement, je me sens dans un mauvais rêve.

Cette ville est agréable, petite, parsemée de fresques street-art dans son hyper centre, la rue 1,5 notamment. Je crois que c’est celle que je préfère pour l’instant.
Les villes que j’ai visitées sont quadrillées à l’américaine, St. 0, St.1, St 1,5, St.2 etc.
Quand on m’a annoncé que j’aimerais la rue 1,5 je croyais qu’il s’agissait d’une métaphore, qu’on m’envoyait un message métaphysique, quelque chose qui m’amènerait à connaître « la vérité », or quand je m’y suis rendue, la rue était physique, pas de coup à la Matrix ni même pour les plus jeunes, à la Harry Potter. Une rue et son panneau. Rien de plus banal.

Il est agréable de se balader dans ce chaos total, de motards, de « surmotards » (à 3 ou 4 sur les scooters, ces images vous les connaissez, elles sont mainstream sur le net), de 4X4, de vélos (j’ai loué une bicyclette), de chiens, de chats…. Ce petit frisson de se demander si on va arriver à destination entier haha !

Pour l’instant je n’ai pas vu un chien écrasé. On est loin des routes que j’avais parcourues en Chine en 2012.

De toute façon, il n’y a qu’une autoroute ici, elle part de Phnom Penh et dessert Sihanoukville et les casinos chinois. La mer aussi, accessoirement. La majorité des routes sont des tronçons parsemés de nid-de-poule. Je crois que mon corps n’a jamais été autant secoué que dans ce pays. Un homme me disait, depuis que je suis ici, je tombe souvent en marchant sur les trottoirs tant ils sont irréguliers, disons-le clairement, défoncés.

Un autre pays m’avait donné cette impression de routes défoncées. Les Philippines. Mais j’étais derrière un motard qui conduisait comme Schumacher. La seule chose qui pouvait crever était sa moto, pas nous. Et d’ailleurs la route, c’était de la terre battue. Je me rendais à El Nido, 2010.
Les Philippines (Manila, Palawan), la Birmanie, l’Indonésie (Java), tout me manque depuis que je suis arrivée. Ce sont des pays que j’avais beaucoup aimé visiter. Il y avait un autre rapport à l’argent. Je ne vous le cache pas, être assimilé à une tirelire ambulante, ce n’est pas agréable. Que faire ? Je ne parle pas khmer. Et j’en suis bien désolée tant pour eux que pour moi.

Dans cette ville, j’ai pu écouter les discours inintéressants de business men français qui se demandaient pourquoi le fisc les avaient retrouvés et où diable finiraient-ils leurs jours mais aussi les pensées profondes et intéressantes d’une évangéliste. On en est là.

Voici mes rencontres du moment. Ah, j’oubliais un couple d’australiens très agréables qui vient de partir.

Je peine à trouver à qui parler.
Il faut dire, c’est la saison morte. Les touristes viennent quand c’est l’hiver chez nous. Les expatriés rentrent en France l’été. Il faut profiter de ce que la France a de mieux pour profiter ensuite de ce que l’étranger offre de mieux. OK.

Je n’ai pas arrêté de rencontrer du monde à Phnom Penh. On me donne les moyens d’essayer, dans ce court laps de temps de résidence, de capter un peu ce pays.
J’essaie de faire comme je peux, je me décourage parfois, j’encaisse des déceptions, et comme une éponge, j’ai l’impression d’absorber l’état du pays, l’humeur générale.

Mais il faut continuer de chercher, de creuser, continuer de débroussailler le Far-West.

« Il y a vingt ans, c’était le Far-West, je pouvais monter un business en une journée, j’ouvrais la porte et les affaires commençaient, maintenant ce n’est plus pareil, ça taxe, l’Etat veut contrôler… » m’a dit l’autre jour un business man.

Je préfère l’idée de Far-West avec des cowboys galopant sur leurs chevaux. On m’a dit à Phnom Penh que je marchais comme un cow-boy. Je crois que je me suis trompée de métier.

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