Siem Reap

Je me suis enfin remise de mon jetlag, de mon otite, et des différents rhumes que je traînais depuis mon arrivée.
C’est le moment idéal pour vous écrire à nouveau, avec un expresso serré à sec, face à une piscine dans laquelle je ne plongerai pas parce que cel me coûterait 15 dollars (en général on peut utiliser la piscine d’un hôtel si on mange à hauteur de 10, 15 ou 20 dollars mais là ce n’est pas possible hélas), sous un ventilateur lent qui me donne l’impression de me maintenir sur le fil entre la sensation d’évanouissement et de lâcher prise.
Dans tous les cas, imaginez mon corps suintant, des moustiques tigres suçant mon sang au niveau des chevilles, et le clavier de mon ordinateur brûlant. Bienvenue dans les tropiques.
Vous m’avez remercié de partager le déroulement de mon séjour, et j’ai éprouvé une pointe de culpabilité, celle de ne pas avoir pu écrire assidument ces derniers jours.
J’ai souvent été de l’autre côté. Je ne voyageais pas et j’espérais apprendre des voyages des autres.
Maintenant que je suis là, à moi de vous raconter ce que je vois.

J’ai quitté Phnom Penh dimanche matin dernier, non sans avoir fait un petit saut dans une boîte LGBT, Heart of Darkness, grâce à la gentillesse de de M. qui m’a amenée avec ses ami.e.s.
Je n’ai pas pu voir le défilé des drag queen qui revenaient de Blue Chili (un bar gay).
De ce côté-ci, aucun clash culturel, et surtout une pensée pour toutes mes amies accoutumées de ces lieux avec qui j’adore faire la fête à Bordeaux.
D’ailleurs, on me demande une playlist pour le 14 juillet, n’hésitez pas à m’envoyer tous les sons les plus féministes et disjonctés qui soient pour que je puisse les faire tourner à l’ambassade.
Donc du Heart of Darkness de notre cher Conrad, je retrouve Siem Reap, et les premières images que je vois à travers la vitre, les rizières, quelques buffles, les palmiers, me font penser irrémédiablement à certaines scènes du film Apocalypse Now de Coppola. Je me souviens encore du premier visionnage de ce film dans une maison bordelaise, chez un de mes ex, j’avais alors dix-neuf ans, et les paysages m’étaient si étrangers que je n’aurais jamais imaginé vivre un jour là-bas. A Singapour je n’ai jamais pensé à ce film. Ce n’est qu’ici que des scènes me sont revenues.
Ce n’est pas un hasard, Coppola a filmé quelques scènes dans ce pays.

(Je viens de tuer un moustique tigre qui me piquait sur le petit doigt. J’espère pouvoir tenir pour vous écrire, j’aimerais éviter de rentrer à nouveau dans les salles climatisées, il y fait tellement froid que la buée se forment sur mes lunettes et je ne vois plus rien.)

Siem Reap est la ville depuis laquelle on visite les vestiges d’Angkor.
Je me suis demandée pourquoi, habitant Singapour en 2010, je ne suis pas venue voir ces trésors. Puis, je me suis souvenue.
L’entrée pour 7 jours, est de 72 dollars, à cela il fallait ajouter l’hébergement, la nourriture et surtout le transport quotidien vers ces temples !
Je n’avais, tout simplement, pas les moyens de venir, et j’avais donc privilégier d’autres pays plus accessibles pour mon porte-monnaie.

Quelle chance de visiter Angkor dans ces conditions, en résidence d’écriture, logée à l’EFEO (École Française d’Extrême-Orient) !
Je n’en reviens pas et je remercie l’univers comme, à la Snoop Dog (ici) je me remercie moi-même d’avoir candidaté deux fois, et d’avoir été retenue cette année à la Villa Marguerite Duras.
Je ne connaissais rien de ce lieu, je n’avais à vrai dire vu qu’une seule photographie sur mon Lonely Planet, la plus connue, celle d’Angkor Wat qui se reflète sur l’étang.
J’avais donc tout à découvrir. Dans mes « stories » des réseaux sociaux, vous avez dû voir des vidéos, des photographies.
La seule chose que je peux vous dire c’est qu’il faut aller en Inde pour bien comprendre l’histoire de ces temples.
Un voyage en amène souvent d’autres, et j’avais écrit déjà sur le vertige du voyage (lire ici).
Si je ne suis pas encore arrivée à ce point de bascule, je n’y suis pas loin. Si je m’y rends, vous viendrez avec moi.
Pour tous ces temples, trois divinités à retenir Shiva, Vishnu, Brahma et trois religions, hindouisme, brahmanisme, bouddhisme.
Brahma, créateur du monde; Vishnu, dieu de la conservation du monde; Shiva dieu de la destruction.
Ah ! Et les Apsarah, bien sûr, danseuses d’un mythe populaire hindou « Le barratage de la mer de lait ». Je vous ai filmé ça à Angkor Wat.
Les Apsarah ont de très beaux seins.
Je n’en sais pas beaucoup plus, j’ai visité les temples sans explications, si ce n’est celles de mon guide du routard et lonely planet !
Les parisien.ne.s pourront aller faire un tour au Musée Guimet, ce qui n’était pas à Siem Reap est à Paris !
J’ai eu la chance de rentrer dans les locaux de la Conservation d’Angkor, voir les avancements des restaurateurs, partir en excursion à Phnom Kulen avec les archéologues et me baigner au pied d’une cascade non sans avoir des sursauts de frayeur à l’approche des poissons qui venaient me picoter les pieds et les jambes. J’imaginais tout un tas de serpents venimeux qui surgiraient des profondeurs de l’eau et me dévoreraient comme j’avais peur de me faire manger les fesses par des singes si jamais je venais à pisser derrière un buisson.
Les singes, parlons-en d’ailleurs. Il y en avait surtout au temple Bayon et j’ai pu voir une scène très touchante. Une agente de nettoyage chargée de ramasser la poubelle des touristes (canettes vides, verres en plastiques etc.) donnait des fonds de boissons à un singe qui cherchait dans ses poubelles de quoi manger, de quoi se rafraîchir. Elle finit par le prendre sur son avant-bras. Elle le caressait, lui parlait.

Je suis allée aussi à Kbal Spean, la rivière sculptée, le conducteur de tuktuk a voulu m’accompagner et nous avons marché à 100 à l’heure. C’est vrai qu’il n’y avait pas un seul touriste. Siem Reap n’est pas vide comme pendant le covid, mais il n’y a pas grand monde non plus. Cela s’avérait une aubaine pour moi qui visitais les temples et qui n’avais pas à souffrir des embouteillages.
Le conducteur m’a fait rire, il disait « je ne suis pas très montagne », et j’ai pensé, « oui, moi je suis plutôt marine, l’océan, la mer ». Il s’arrêta net pour répondre « non ce que je veux dire c’est que moi je suis plutôt tuktuk, je ne marche pas ». Et nous avons bien ri.

Pour le reste, j’ai été traitée comme une touriste par les chauffeurs, bien évidemment, et s’il fallait donner plus de dollars, je le faisais volontiers.
C’est assez terrible quand on y pense d’être enfermée dans ce rôle de touriste, supposément riche, quand je ressens une certaine douleur, celle du décalage entre ma condition en France, et surtout de celle de ma mère (merci encore pour votre aide, elle va mieux), et l’image qu’ils me collent à la peau ici.
Je ne vais pas disserter sur ça, mais je dois dire que cela me fait vaciller, c’est une autre sorte de vertige, savoir qu’ici c’est un pays si pauvre, mais qu’en France j’ai vu ma mère ne pas manger à sa faim dans un pays si riche. Oui, ça donne envie de sortir dans les rues, et c’est bien ce que j’ai fait depuis le début des grèves et des manifestations cette année et les autres, et comptez sur moi pour y revenir dès que j’aurai mis un pied en France.
J’en profite aussi pour remercier tou.te.s mes ami.e.s et connaissances artistes, je ne sais pas si vous vous rendez compte de votre talent, mais il me manque à chaque instant ici. Je n’ai, pour l’instant, rien vu d’intéressant en termes de spectacle vivant. Tout manque dans ce pays. Vu leur histoire, ce n’est pas étonnant.

Cela me donne encore plus envie de me battre en France. Je suis loin d’un discours « on ne se rend pas compte de la chance qu’on a », je garde les mêmes convictions: il ne faut pas céder face au gouvernement, maintenir l’exception française, se battre contre la loi des retraites etc. Évidemment, fuir le nationalisme à tout prix.

Dans ma petite chambre de l’Efeo à Siem Reap, j’ai dormi d’un sommeil profond et réparateur, entourée d’autres chercheurs, et surtout d’animaux et d’insectes qui m’ont bercés avec leurs chants nocturnes.
Le retour à l’ambassade française a été un peu dur, je n’arrive pas à me faire à la vue des barbelés depuis ma chambre mais le retour à Phnom Penh était agréable. Ce n’est pas un secret, j’aime les grandes villes, et c’est toujours un plaisir de se retrouver sur une terrasse au 17ème étage d’un immeuble à siroter du champagne, merci V & E !

Ce n’est pas tout à fait le billet que j’avais prévu mais l’envie de vous écrire était là.

A très bientôt !

NM.

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