Deuxième lettre d’une poétesse en souffrance

La première fois que j’ai pris le train pour aller à Paris depuis les manipulations de l’ostéopathe, je m’en souviens très bien.
Arrivée en face de la Gare Saint-Jean, je me suis effondrée. Comment j’avais pu souffrir autant ? Je me suis avancée vers le bâtiment comme s’il indiquait une salvation, comme si partir de la ville signifiait que j’étais déjà guérie.
Je me suis mise à trembler, je suis passée de la chaleur au froid glacial avec l’impossibilité de me calmer. J’avais – ainsi je le croyais – vécu l’enfer. J’avais – ainsi je le croyais – échapper au pire. A huit mois de l’événement, je comprends que non, que je n’y suis toujours pas.
Dans ce train qui m’amène à la capitale, je pense à tout ce que j’ai manqué mais que je vais retrouver. « Seulement » quatre mois ce sont passés depuis les manipulations, c’est comme ça que je pense la chose. Je vais pouvoir retrouver la vie, la forme, la joie que j’avais. On me disait « pétillante », je le redeviendrai. Je ne me rends pas compte qu’une autre maladie est en train de me ronger. Évidemment, puisque je n’ai pas dormi depuis si longtemps, je suis tombée en dépression.
C’est la première fois de ma vie que je ne parviens pas à prendre soin de moi. Je ne me regarde plus car me regarder m’effraie terriblement.
Habituée à avoir les ongles courts – c’est comme ça que je les aime quand j’écris sur mon clavier d’ordinateur – je vais les laisser pousser. Je ne saurais même plus comment m’y prendre. Le noir de la crasse s’est immiscé dans mes ongles. Il n’y a rien à faire. De toute façon, je n’écris plus.
Depuis les manipulations de l’ostéopathe, je vis une dissociation. J’ai bien compris que je suis dans mon corps mais il ne m’appartient plus. J’ai envie de le fuir. Il m’empêche de dormir, m’empêche le repos (les acouphènes sont extrêmement forts), m’empêche de travailler.
Il est plus simple pour moi de me retourner la violence que j’ai subie par un praticien charlatan que de la lui adresser. Je n’en ai, de toute façon, pas la force.
L’ami qui m’a donné le coup au nez et qui me l’a conseillé me dira lors de mes premières semaines de souffrance « tu es pleine de colère contre moi », c’est pourquoi il ne me demandera pas de mes nouvelles. Quand j’y pense après ces huit mois de douleurs, je me dis que j’avais mal choisi l’ami. Pendant ces huit mois de souffrance, je vais me retourner la violence contre moi.
La première réaction, au paroxysme de la douleur, sera de vouloir me poignarder, je me dis « je souffre trop » et surtout « j’ai été trop conne de me laisser influencer pour finir entre les mains d’un charlatan criminel ». C’est alors que j’appellerai à l’aide et que les amis viendront constatant avec effarement « ce visage de souffrance ».
Aujourd’hui, je me rends compte à quel point il est difficile – et pourtant nécessaire – de garder le sens commun. Je viens d’une famille qui est une habituée des hôpitaux publics qui hélas sont l’ombre d’eux-mêmes. Quand j’y vais pour le coup au nez, ils ne savent pas s’il est cassé ou pas. Il faut que l’œdème redescende. Mais surtout, je dois leur dire dans les dix jours, insistent-ils, s’ils doivent me donner un coup à droite ou à gauche pour me remettre le nez droit.
Tout cela va contribuer à ce que j’accepte d’aller voir l’ostéopathe de celui qui m’avait donné le coup au nez pour qu’il me dise s’il est cassé ou pas.
Comment j’ai pu accepter cette idiotie ? Seule une IRM peut le dire. Pourquoi passer par quelque chose qui n’est pas scientifique ? Qu’est-ce qui m’a pris ?
Mais surtout pourquoi accepter qu’il « s’occupe » de mon dos comme me l’avait conseillé mon pote alors que la seule chose que je voulais savoir c’était si oui ou non mon nez était cassé, pour me rassurer.
Maintenant que je n’ai pas dormi pendant plus de sept mois, avec des périodes d’effondrement physique et de la psyché, maintenant que j’ai de graves problèmes de gencives et de dents, que j’ai développé une maladie parodontale, que le stress de perdre mes dents dans les années à venir s’ajoutent à toute la souffrance endurée, j’ai l’impression que je ne m’en sortirai jamais. Dormir est toujours un pari. Les acouphènes depuis les manipulations sont toujours là. Ma chambre à coucher doit donc être bruyante quand je m’endors. C’est le son de la mer que je mets à un volume tel que c’est comme si elle m’avait déjà engloutie.
« Tu es dans le trou et tu te dis que la solution c’est de refermer le trou avec toi dedans or non Nathalie, tu dois sortir de là » me dit une amie.
Et c’est vrai.
Pour l’instant, perdue dans mes repères, huit mois sans avoir une vie normale, huit mois de souffrance extrême, j’ai l’impression que ce trou dans lequel une terre désagréable continue de tomber est ma seule solution. De là, je ne vois pas la lumière du jour, je ne sais pas ce que je rate, je ne sais pas ce que c’est que profiter, et tant mieux, car rien que d’y penser, je tremble. Parfois, c’est la crise d’angoisse qui me submerge, je suis en sevrage des médicaments, la crise peut durer cinq heures et quand elle et trop violente, je me pisse dessus.
« Vous attendez d’aller mieux pour revivre or la vie c’est maintenant.»
« Tu sais il n’y a que ici-bas, c’est tout ce qu’il y a… »
Toutes ces phrases pleines de sens je les entends mais elle parvienne à l’oreille d’une jeune femme qui est maintenant devenue dépressive, qui n’a plus les ressources de sortir du trou.
Mais je les entends, j’ai envie de les exaucer. J’ai envie de me lever et de dire, « un expresso s’il vous plaît » et de sourire au serveur, de regarder la journée comme le début de quelque chose et non plus comme les prémices d’une fin que je subis.
Où trouver la force de tout recommencer ?
Comment faire un pas l’un après l’autre sans se décourager de se voir si diminuée ?
Cet épisode m’apprend pourtant que les gens me veulent du bien, que la majorité ne souhaitent pas que je souffre. Un neurologue également m’accompagne.
En soi, c’est une démonstration de l’importance de l’espoir et des valeurs de solidarité et d’humanité. Autour de moi, c’est ce que je vois, une humanité qui se tient la main. Encore faut-il que je la tienne ferme cette main, que je ne la lâche pas. Je n’ai aucune certitude en ma guérison ni quelles seront les nouvelles modalités de ma vie. Peut-être que la difficulté réside en cette apparence extérieure de pouvoir marcher, de pouvoir bronzer, de pouvoir parler. Mais c’est bien tout ce que je peux faire. Ni la capacité de réfléchir, de me concentrer, de dormir naturellement, ni la capacité à profiter, à m’amuser, ni maintenant la propension à sourire (puisque ce sourire est désormais en danger et qu’il me rappelle la violence de l’ostéopathe) m’est accessible.
Je n’y renonce pas.
J’essaie simplement de comprendre comment y accéder.

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